sexta-feira, 18 de maio de 2012

80. Le Lycée d’Aristote : la Physique, philosophie avec sciences



Le Lycée d’Aristote : la Physique, philosophie avec sciences
141. Disciple critique de Platon, Aristote détourne la définition vers les choses de la phusis, de la nature, vers les vivants, qu’il étudie en observateur ‘scientifique’, et dont il essaie, dans le livre de la Physique, de comprendre la possibilité d’avoir le mouvement en eux : d’être engendrés et de se corrompre, de changer de taille et de qualités. Son motif décisif est celui d’ousia, ce qui reste le même dans les changements accidentels de chaque étant. Soient deux exem­ples : l’œuf d’où naît un petit poussin, le bronze dont on fait une statue. Selon l’individualité de l’étant, l’ousia est dite hulê (matière) : le bronze avant et après la sculpture, ce qui de cet œuf reste dans ce poussin (d’autres œufs donneront d’autres poussins). Le changement im­plique deux con­traires: l’eidos, une ‘spécificité’ qui per­mettra de le nommer, voire de le définir (le poussin et la statue tels qu’on les ‘voit’[1]), son absence ou privation (sterêsis) avant le change­ment (le ‘pas-de-poussin’ dans l’œuf, l’informité du bronze). Sterêsis di­rait donc l’ousia ‘avant’ le mouvement, le s’en aller de l’ (autre) eidos qui a cessé, tandis que eidos di­rait le nouveau visa­ge de l’ousia - ce qui est ‘vu’ de l’étant et permet de le nommer, ce qui lui est spécifique, par dé­finition de son espèce (des coqs et des poules, des statues) - qui a réussi le mouve­ment, le change­ment, et qui subsistera stablement en tant que morphê, celle-ci disant cet étant-ci, indi­vidualisé dans ses accidents (ce poussin, cette statue). Voici ce qui touche à l’es­sentiel de la physique aristotélicien­ne: elle cherche à com­prendre le mouve­ment des vivants. Et c’est ce que l’iner­tie de Galilée et de Newton exclu­ra, à leur tour par des rai­sons es­sen­tielles à leur phy­sique.
142. Aristote définit tout le temps, mais sait garder le même mot en en précisant des sens : ainsi, ousia, dans les Catégories, est dite « première » au sens de l’étant individuel (“cet homme ou ce cheval”), et « secondes » les espèces (eidê) et les genres (genos) « dans lesquel­les les ousiai prises au sens premier sont contenues » (5, 2a10-16, trad. Tricot). Le genre et l’espèce (ou différence spécifi­que) étant les deux composantes de la définition de l’eidos, cette ousia se­conde correspond clairement à ce que les latins ont tra­duit par ‘essence’, tandis que la première corres­pond au latin ‘substance’. Il faut remarquer que la définition d’ousia - avec d’autres : motif (aition), la puissance de changer (dunamis), cette possibilité, effectuée, en œuvre (ener­geia) – pour comprendre le mouvement implique qu’Aristote tienne compte de la temporalité : puisqu’elle est pensée de la génération, en termes heideggériens de la venue de chaque étant à la pré­sence, jusqu’à sa disparition, et pensée aussi du changement, altération, crois­sance et diminution, déplace­ment, tous des motifs essen­tiellement temporels. Mais d’autre part, le fait qu’il ait compris les différences individuelles, entre deux humains, par exemple, comme des accidents, arrivés dans le temps de son parcours, met l’ousia en tant qu’essence du côté de l’intemporel : opposition entre être et temps. Si celle-ci chez Platon était forte comme le ciel en tant qu’éternité et la terre en tant que temporelle, elle ne subsistera pas moins dans les discours philosophiques qui se réclameront d’Aristote. Il y a chez Aristote un retour aux choses, mais telles qu’elles sont définies, sans retourner au contexte aux­quel­ la définition les arrache.
143. Le corpus de ses textes comprend des textes ‘scientifiques’, au sens ancien, qui cherchent à définir des ‘espèces’ : cosmologiques, météorologiques et biologiques, mais aussi poétiques, éthiques, rhétoriques et politiques. Or, en ce qui concerne la zoologie, dans L’histoire des animaux ceux-ci sont décrits empiriquement en anatomie comparée, tandis que Les Parties des Animaux les étudient selon leurs motifs, en appliquant les catégories définies dans la Physique. De même, dans la Poétique, après un inventaire classificatoire et historique des types poétiques, le chapitre 6 définit l’ousia de la tragédie selon les quatre motifs de la Physique. Celle-ci procède à l’analyse de l’étant vivant, de l’étant en tant que mouvement (‘physique’, du verbe phuô, croître, pousser), elle n’est donc pas une ‘science’. Si l’on regarde du côté de la Métaphysique, celle-ci étudie les catégories qui ont été définies dans la Physique mais concernant maintenant l’étant en tant qu’être : elle vient donc ‘après la physique’, et est plus générale que celle-ci. Si la Métaphysique s’est affirmée historiquement comme la philosophie (malgré qu’entre les deux ne puisse exister de ‘séparation’), il faut dire que la Physique est le texte qui élabore philosophiquement les catégories qui sont adéquates aux sciences, et où donc celles-ci sont prises en compte, à la différence de la Métaphysique, qui ne s’en soucie guère mais n’a été possible qu’à sa suite. La Physique était Philosophie avec sciences. Voilà ce qui permet de comprendre la portée de l’affirmation de Heidegger : “La Physique d’Aristote est, en retrait, et pour cette raison jamais suffisamment traversé par la pensée, le livre de fond de la philosophie occi­dentale” (1968, p. 183).
144. Il faut souligner que le geste d’Aristote de garder le même nom pour l’ousia singulière, d’un cheval par exemple, et pour le discours qui pense l’espèce des chevaux, relève de sa fidélité à Parménide, au dire-(qui)-pense-l’être. De même que Platon, d’ailleurs : « pensée (dianoia) et dis­cours (logos) ne sont qu'une même chose, sauf que le discours inté­rieur que l'âme tient en silence avec elle-même a reçu le nom spé­cial de pensée » (Sophiste, 263e, trad. Chambry); mêmeté aussi entre le dis­cours et ce qu’il dit: « le discours, dès qu’il est, est forcément un dis­cours sur quel­que chose; qu’il soit sur rien, c’est impossible » (idem, 262e). Les Grecs classiques, on le sait, ne traduisent pas en d’autres langues que la leur, des langues ‘barbares’, Platon et Aristote ignorent le ‘signe’, ne parlent que de nom et chose. L’hellénisme, par contre - la culture et les écoles de pensée grecque répandues dans les villes de la Méditerranée après Alexandre -, implique souvent le bilinguisme et donc la traduction. Zénon de Citium, le fondateur de l’école stoïcienne, de la génération qui a suivit Aristote, de langue sémite, a appris le grec à l’école. Or, dans la première définition connue du signe, attribuée aux Stoïciens, au nom et à la chose s’ajoute la signification (lekton), argumentée avec la différence des langues : « c'est ce qui exprime le mot, la chose que nous com­prenons et que nous pensons, mais qu'un étranger ne compren­drait pas, bien qu'il soit capable d'entendre le mot »[2]. En effet, le signe et son lekton sont la condition de la tra­duction elle-même[3].


[1] Le verbe grec idein, voir, d’où eidos, le visage vu.
[2] Sextus Empiricus, IIIe s. apr. J.C., in P. Petitgirard, Philosophie du langage, Textes de Platon à M. Hei­deg­ger, Dela­grave, 1976, p. 111.
[3] Donc la pensée grecque classique qui ne traduit pas, est restée ‘régionale’ (Heidegger, d’après Beaufret), pas destinée aux Barbares ; l’universalité (au-dessus des langues) lui est advenue dans l’hellénisme et puis de par le christianisme.

Fernando Belo, La philosophie avec sciences au XX siècle, Paris, L'Harmattan, 2009.


-
 


Imagem: pintura - obra plástica de Luís de Barreiros Tavares

79. Filosofia e ciências. O dentro e o fora. A definição e o antes da definição. A fala e a escrita...




L.T. : 1) Expliquei-me mal sobre a definição no Heidegger (ver mensagem 77), pois já era claro para mim, com as nossas conversas e os teus textos, que ele não a defendia. O que queria principalmente dizer é que dás importância à definição, quando ele, pelo contrário, não dava, como já mo havias dito.
2) " (...) porque eles andaram sempre, apaixonadamente, dentro e fora da filosofia." Quanto ao andar dentro e fora da filosofia, esse parece-me ser um dos seus problemas também (precisamente da filosofia), pois ela mesma tende a andar dentro e fora. O que por si só não dificulta. Dificulta quando essa pretensão se opera por vezes um pouco como se não o fosse. Mas não sei se é bem isto. É o tal problema dos filósofos e pensadores serem muitas vezes acusados de quererem meter o nariz aonde não são chamados e caírem em generalidades. Estas acusações porém, são feitas o mais das vezes por gente pouco capaz. Mas nem sempre. E a tendência destas discussões é a de perder o nível. Os cientistas especialistas devem pensá-lo frequentemente pela calada, ou até mesmo inconscientemente, relativamente a uma certa figura do que supõem ser o 'intelectual', o 'filósofo'. E porque não principalmente a respeito do epistemólogo, na sua cumplicidade de trabalho, o dito filósofo das ciências? Para já não falar nos filósofos e pensadores entre eles que também se vêem uns aos outros como tais sem se aperceberem, e que nas suas demarcações e territórios não dão por que são o mesmo nessa quase obsessão de se diferenciarem e até de se oporem. É curioso também que a maior parte dos cientistas hoje nas suas hiper-especializações, digamos, como que padecem de uma espécie de cegueira, tão virados que estão para a universalidade (seguindo o que diz o Aristóteles) quando quase só vêm a sua hiper-especialidade. Mas acho esta questão muito delicada, e para já não consigo e não disponho de argumentações fortes. Por outro lado não sei francamente se ela leva a algum lado. O que me parece é que quando se funciona assim e se discute assim, é o pensamento que fica principalmente a perder. Isto foi mais um desabafo.
No entanto, queria só sublinhar as duas primeiras linhas deste ponto 2) que creio tratarem de uma questão importante.
3) Não percebo bem quando dizes "lugar fulcral da definição, como operação violenta da escrita" quando a definição advém, segundo me parece, do germinar desde Sócrates e Platão (culminando em Aristóteles esse germinar e prosseguindo como tradição ocidental; mas não quero focar aqui o Estagirita) com o logocentrismo e fonocentrismo analisados pelo Derrida. Logocentrismo e fonocentrismo decisivos na definição tendo em conta a célebre teoria dos eide no Platão (Idea, Eidos...). "Eide celestes", como fazes questão salientar. O meu problema é que me parece que não estou a ver o alcance do que queres dizer quando mencionas aí a 'escrita'. Ou talvez não esteja a situar bem a questão. Mas isso talvez seja problema meu. De qualquer modo deixo aqui a dúvida.
4) Qual era o debate com o Fernando Gil?

16/05/2012


-


F.B. : De forma muito geral e rápida, a questão do 'dentro e fora' da filosofia põe-se porque ela 'pariu' quase tudo na civilização actual, deitou de 'dentro dela' para fora, ciências e administrações. E hoje todos estes 'filhos naturais' não sabem que o são, acham-se pois 'de fora', autónomos (o que é bom para eles). Se os filósofos querem meter o bedelho no paradigma das ciências, no que é deles, filósofos, obviamente que serão mal vistos... Comigo, tenho uma defesa, meti as ciências também na filosofia que indaga.
3) a questão da escrita é simples: a definição é uma operação de linguagem, de escrita (se tivesse ficado na oralidade do Sócrates, não saberíamos dela, não tinha havido nada). A violência manifesta-se, por exemplo, na instituição da escola, da Academia e do Liceu, na dificuldade pedagógica imensa que é a 'abstracção' que ela provoca: sem definição, não passaria de literatura, que já havia, muita e boa, antes da definição e não precisou nunca de escola. É o meu ponto aliás em relação ao Heidegger, não sou nenhum nostálgico do antes da definição (nem creio que ele o fosse, mas com o japonês, quase parece)
4) O debate com o Fernando Gil foi sobre uma conferência que ele fez na Faculdade defendendo que as ciências sociais tinham como objecto o 'singular', que as ciências naturais não. Respondi-lhe e ele respondeu-me, vem no livro dele Mediações (INCM), sem o texto inicial dele. Constou-me que terá dito, quando editou este livro, que eu tinha mais razão do que ele.

17/05/2012

-

L.T. : Porquê a relação que estabeleci entre definição e a oralidade? O que me traz perplexidade é saber se o "diálogo interior e em silêncio [o aneu phônês, que abriu este blogue como ponto de partida] que a alma tem consigo mesma, recebendo o nome especial de pensamento" (Platão, Sofista, 263 e) reenvia para o que é considerado 'oralidade'. Veja-se no Fedro a prioridade do oral, ou da fala sobre a escrita -, tendo a oralidade relação com a alma, esta remetendo por seu turno para os eide celestes, e estes para a definição.
Mas agora creio perceber melhor a tua resposta. É que quando escreves "lugar fulcral da definição como operação violenta da escrita" subvertes, de uma assentada - num duplo gesto - qualquer possibilidade de pretensão radical de opor 'escrita' e 'fala'. Mais ainda, subvertes o gesto que, de uma maneira ou outra, pretende instituí-las (numa doxa filosófica?) enquanto separadas segundo uma certa tradição.


18/05/2012

-




Imagem: obra plástica de Luís de Barreiros Tavares

quarta-feira, 16 de maio de 2012

78. Comment définir une science ?



Comment définir une science ?
76. D’un point de vue phénoménologique élémentaire, ce qui saute aux yeux comme constitutif d’une science n’est peut-être pas perçu par ses pratiquants eux-mêmes : c’est d’être un laboratoire, donc une unité sociale, une ‘institution’ de type moderne. Le mot ‘laboratoire’ dit labeur, travail, d’une part, mais d’autre part ce travail a des buts de connaissance théorique, qui sont poursuivis par de l’écriture, ce qui place les sciences du côté de l’école (à l’instar de la philosophie, sauf que celle-ci se restreint à l’écritoire, n’a pas de laboratoire). Si l’on dit que le travail renvoie à ce que l’on appelle expérimentation, on peut s’apercevoir du double lien de l’institution scientifique comme liant le travail du laboratoire d’une part et le but de connaissance théorique de l’autre. En tant qu’unité sociale, le double lien est semblable à celui de toute unité sociale, les gestes élémentaires et leurs voix en phonèmes en retrait strict, plein de répétitions, et le paradigme, l’ensemble systématique des recettes, en retrait régulateur des usages dans l’aléatoire quotidien. C’est le paradigme dû justement à Kuhn qui, en tant que scientifique, est spécifique du laboratoire. Il a pris des exemples anciens pour présenter ce motif, la Physique d’Aristote, l’Almageste de Ptolomée, les Prin­cipia et l’Optique de Newton, l’Électricité de Franklin, la Chimie de Lavoisier et la Géologie de Lyell, ce sont des performances qui, écrit-il, “ont longtemps servi à définir implicitement les problèmes et les mé­thodes légitimes d’un domaine de recherche pour des générations successives de chercheurs. S’ils pouvaient jouer ce rôle, c’est qu’ils avaient en commun deux caractéristiques essentielles : leurs ac­complissements étaient suffisamment remarquables pour atti­rer [je soul.] un groupe cohérent d’adeptes à d’autres formes d’activité scientifique concurrentes ; d’autre part, ils ouvraient des perspec­tives suffisamment vastes pour fournir à ce nouveau groupe de chercheurs toutes sortes de problèmes à résoudre. Les perfor­mances qui ont en commun ces deux caractéristiques, continue Kuhn, je les appellerai désormais paradigmes » (pp. 30-31). La première chose à souligner, c’est la donation, la transmission entre générations, l’héritage venu des anciens scientifiques évoqués par leurs textes et leurs noms, absents, puisque morts, en retrait donc, ayant des effets sur la lecture de leurs textes (apprentissage : initiation à la science) et dans le paradigme tel qu’on le met en pratique, « les performances », dit Kuhn, ce que l’on fait, les usages scientifiques qui tâchent de résoudre des puzzles à la façon des savants antérieurs, et c’est le deuxième point : ces performances impliquent la théorie et l’expérience, que Kuhn ne dissocie jamais, et c’est l’un des intérêts majeurs de son propos, d’en finir avec la confrontation, plus ou moins stérile, entre théorie et expérience, vérification ou falsification, comme s’il s’agissait de deux choses extérieures l’une à l’autre. Troisième point de la définition de paradigme, l’attrait des jeunes gens pour les problèmes à résoudre, le lien établi entre les envies des chercheurs et les questions de recherche, ce qui implique d’accepter une discipline de recherche, ce lien étant plus important que le salaire.
77. En quoi consiste, de façon générale, le double lien qui définit un paradigme scientifique ? Celui qui unit indissociablement deux domaines incompatibles entre eux, celui de la définition philosophique et celui de ladite expérience dans son empirisme radical : en bref, dans le jargon de l’école, la théorie et la pratique. Au moins en tant que principe normatif, le système des motifs et lois théoriques n'est retenu comme scientifique que dans la mesure où il vaut dans tous les laboratoi­res de cette spécialité : il s'y répète de façon à faire jus au critère de l'universalité gno­séologi­que (qui est celui des sciences). Définitions, logique de l'argumen­tation, lois établies : c'est de la répétition, celle du cor­pus du paradigme en train de se reproduire. Tandis que l'ex­pé­rience, rapportée dans un récit loca­lisé dans tel laboratoire à telle épo­que, relève de l’événement, est singulière par structu­re, rebelle donc à l’universalité de la connaissance. La performance consiste à lier scientifiquement ces deux lois antagoniques. Déjà dans l’écriture philosophique[1], dès l’école socratique qui a inventé la définition, surtout celle d’Aristote qui observait les choses, les vivants notamment, pour les comprendre et définir, mais sans y mettre la main[2], on tâchait de lier les deux domaines, l’inscription du langage et de la pensée, d’une part, et de l’autre les choses de la réalité terrestre et céleste. Les sciences, notamment à partir de Galilée et de Newton, ont élevé le but : non plus se contenter de la ‘substance’ des choses (au cœur de la science aristotélicienne), mais approcher leur mouvement lui-même, et pour le réussir, le reproduire au laboratoire. Celui-ci est autant le royaume de la théorie gnoséologique, soumis à la loi de la définition, que de ce qui lui résiste, lui fait objection, l’objet empirique sans loi, anti-loi, qui relève plutôt des essais, des travaux, des arts, des luttes, bref des ‘choses’ des scènes, rebelles à la connaissance rigoureuse. Toute science est un double lien entre la loi de la définition et la loi de l’objection : concilier deux inconciliables, la répétition théorique en tant que connaissance à but universel et la singularité d’un mouvement empirique, imprévisible, saisi entre deux moments de son mouvement propre, que l’on cherche à connaître, qui résiste à la définition, expérience, essai, tentative, car des expériences semblables donnent des résultats différents. La théorie doit apporter la répétition à ce qui est irréductiblement singulier : il faut pour cela prélever le phénomène à connaître de la scène, sous des critères dictés par la théorie, de façon à le dissocier d’autres facteurs qui le lient dans la scène, n’en gardant que la dimension à connaître. Il faut le réduire de son empiricité et de son contexte, lui accorder des conditions de détermination : c’est pour cela qu’il faut un laboratoire, c’est aux diverses méthodologies qu’il revient de faire cette réduction, de déplacer le phénomène visé de la scène au laboratoire, ceci de façon à ce que son mouvement puisse être défini selon la dimension théorique qui préside au prélèvement.
78. Si le prélèvement se fait par réduction, le retour en suite du phénomène après avoir été ‘compris’ au laboratoire, le retour à la scène ne doit-il pas, lui aussi, demander un soin complémentaire, celui de tenir compte de ce que les effets de la réduction sont annulés ? Sans doute, mais pas seulement à ce moment : il faut que la théorie, dès le début du processus de prélèvement, sache qu’il faudra retourner à la scène, le sache dans sa composition elle-même. Toute expérimentation est fragmentaire, c’est ce que dit la métaphore du puzzle de Kuhn, elle vise l’un des éléments de l’assemblage en question, ce qui implique que la réduction réduise aussi l’ensemble des autres éléments de l’assemblage, c’est en fonction de cet élément, de ce phénomène partiel, que l’on parle de ‘hypothèse théorique’, qui ne part pas du zéro, mais vise à compléter des lacunes de la théorie. Les ingénieurs des voitures sont ici exemplaires : tout en travaillant sur des détails, ils doivent tout le temps regarder la scène de la circulation et tenir le plus grand compte de sa loi du trafic, des conditions aléatoires de la circulation, ils doivent tenir compte des retraits même s’ils ne le théorisent pas dans ces termes (car ils sont explicites, leur double lien sans énigme). De même les scientifiques des autres domaines devraient savoir tenir compte des retraits et des doubles liens respectifs dans leur théorie, ce qu’il semble qu’ils ne font pas : la difficulté, c’est que les retraits ne peuvent pas être expérimentés, ils ne se donnent qu’à la pensée. Les symptômes les plus clairs de leur manque dans les théories, ce sont les déterminismes (et les réductionnismes) que les scientifiques exhibent constamment, non point par conviction ‘bête et méchante’ contre les spiritualistes naïfs (il y a des scientifiques croyants), mais parce que pour eux le déterminisme est la raison d’être de leur science, trouver des raisons de cause à effet dans une réalité qui les cache. Il y va certes de la représentation mentale européenne (§ 6), mais en termes heideggériens, on peut dire qu’il s’agit, tout simplement, de l’oubli du laboratoire en tant que condition structurale des sciences. Tout semble se passer comme si pour eux, sans que probablement ils l’aient explicité ainsi, le laboratoire n’était qu’un échafaudage que l’on retire et que l’on oublie après que l’édifice soit construit. De même que les philosophes européens ont pensée l’idée et la pensée comme si le langage et ses règles n’étaient qu’un instrument.



[1] La philosophie fait partie de l’histoire occidentale ; l’un des grands handicaps des historiens, quand ils veulent expliquer les grandes transformations des sociétés occidentales, c’est de ne pas savoir tenir compte de l’impact des philosophies sur ces transformations.
[2] Chez Platon, on faisait, en plus de la géométrie, des expériences spirituelles et de pensée, pour définir la vertu, par exemple (on y reviendra dans la 3e partie).

Fernando Belo, La philosophie avec sciences au XX siècle, Paris, L'Harmattan, 2009.
-